GRAMAT
l'URANIUM
SENS DESSUS DESSOUS
Article repris de la revue "Dire-Lot" N° 87, Mars Avril
2001
87, rue Joffre 46000 Cahors
tel:05 65 23 09 00
Fax: 05 65 23 97 20
mel: dire@wanadoo.fr
Sous la direction de la Délégation générale de l'Armement, le Centre
d'études de Gramat teste, invente et expérimente depuis plus de quarante
ans les armes de demain. Installées sur le causse en plein Parc Naturel
Régional, dans un enclos de 280 hectares, plus de trois cents personnes
travaillent inlassablement sur des projets marqués par le sceau du secret.
Détonique, pyrotechnique, impulsion électro-magnétique,
souffle nucléaire sont autant de domaines étudies au CEG et qui animent
les fantasmes les plus fous chez les voisins gramatois.
L' expérimentation d'armes à uranium appauvri, très médiatisées
dernièrement, nourrit les inquiétudes plus légitimes dans la population
locale et chez les salariés eux mêmes.
L'uranium
appauvri au CEG : en apparence tout va bien !
Les armes à uranium
appauvri sont officiellement expérimentées au Centre d'études de Gramat
depuis novembre 1987, date de la mise en service du STU (Site de tir
à uranium) construit au fond du gouffre de Bèdes. II s'agit d'une énorme
demi-bulle métallique blanche de 17 mètres de diamètre, de 30 mm d'épaisseur,
complètement hermétique. Ce réceptacle est capable de contenir les explosions
d'obus projetés depuis l'extérieur a plus de 2 000 m/ s sur toutes sortes
de blindages. Depuis la création de ce lieu d'expérimentation, les ingénieurs
du CEG y ont effectué 720 tirs avec ce type d 'arme. Ceci pour le compte
de l'armée française mais aussi sur commandes d'autres pays comme la
Grande-Bretagne notamment. « La quantiée d'uranium utilisée durant
ces quinze dernières années ne déepasse pas une tonne
» : M. Michel Joubert, directeur du Centre, se veut rassurant.
Une plaquette de communication,
distribuée aux élus du canton afin d'apaiser leurs inquiétudes, indique
que l'installation permet de ne rien rejeter vers l' extérieur. Tout
est filtré, récupéré, stocké et retraité. C' est bien évidemment en
raison des risques liés à la manipulation de telles armes et d'un tel
matériau qu'un bâtiment aussi sécurisé fut édifié. Dans la Revue scientifique
et technique de la défense (1), les ingénieurs du CEG précisent d'ailleurs
sans détours ...
que "l'utilisation d'uranium appauvri dans ce type d'application
présente un risque pour les personnes et pour l'environnement ». Selon la direction, les risques portent non pas sur
la radioactivité de ce métal, qui est inférieure à celle émise par l'uranium
naturel, mais é la toxicité de ses oxydes répandus dans l'air après
le tir. « Pour éviter tout risque de contamination, la solution retenue
consiste à réaliser l'interaction du projectile et de la cible dans
une enceinte fermée et à ne rien rejeter vers l' extérieur qui n' ait
été contrôlé et filtré. Le dépouillement des essais nécessite également
des précautions particulières » complètent les spécialistes.
La question du
danger causé par les rayonnements de l'uranium divise pourtant professionnels
de l' armement et associations. La Criirad (2) s' est, à ce titre, prononcée
récemment, expliquant que « si la radioactivité de l'uranium appauvri
reste inférieure de 23% à celle de l'uranium naturel. . . on a affaire
à une substance [...] que la réglementation impose de surveiller et
d'isoler de l'environnement. La radioactivité de l'uranium appauvri
reste 60 000 fois supérieure a ce que l' on trouve habituellement dans
le sol. » Mais jusque-là tout semble avoir été calculé, minutieusement
étudié pour préserver l' environnement et le personnel des effets nocifs,
parfaitement connus, liés à l'expérimentation de ce type d'armes.
Qu'est-ce
que I'uranium appauvri ? Quels sont les dangers ?
L
'uranium naturel a besoin d'être enrichi pour être utilisé comme combustible
dans les centrales nucléaires. Après extraction, le minerai est envoyé
en usine d'enrichissement qui produit à la sortie le combustible recherché
ainsi que de I'uranium appauvri. Chaque année la France produit 16 540
tonnes de ce dernier . Produit en abondance, ce matériau possède quelques
qualités qui intéressent les professionnels de l'armement. Il est très
lourd, dense et peu onéreux. Projetés à très forte vitesse, les obus,
munis d'une flèche en uranium appauvri, percent tous types de blindages
de chars. En se pulvérisant contre sa cible, ce métal provoque un nuage
de particules présentant une forte toxicité. Selon la Criirad ces oxydes
d'uranium, une fois inhalés, viennent se placer dans les organes tels
que les poumons, les reins et les os.
Les risques associés
sont donc des cancers (et leucémies). « Par inhalation, la dose annuelle
à ne pas dépasser est de I'ordre de 200 à 300 becquerels pour un adulte.
Prenez une munition à uranium appauvri qui pèse 1 kilo dont 30% ont
été vaporisés en fines particules (300 grammes). Cela représente 1 à
2 millions de becquerels ! » livre Corinne Castanier , présidente de la Criirad,
à la revue Sciences et avenir (11).
Le contexte géologique ignoré
Le causse de Gramat, souvent comparé à un
gruyère de calcaire, possède une relative fertilité du sol (avec une
abondante végétation) et révèle par ailleurs une absence flagrante
d' eau de surface. La circulation y est souterraine, à l'instar de tout
terrain karstique développé. Une de ces rivières souterraines,
l'0uysse, disparaît à Thémines pour ressortir à la résurgence
de Cabouy, à quelques kilomètres de Rocamadour. Entre temps, les eaux
ont discrètement parcouru plus de 25 kilomètres sous terre,
passant à l'aplomb des gouffres des Vitarelles, des Besaces et
de Bèdes (3) situés tous les trois dans l' emprise du CEG .
~ La présence de ces eaux souterraines, une centaine de mètres
à peine sous le STU , n' a pas inquiété, à l'époque, les concepteurs
de ce site. « Non, il n'y a pas eu d'étude hydro-géologique
» répond le directeur actuel. Le choix de l'emplacement,
au fond du gouffre de Bédes, aurait donc été motivé par de simples
raisons pratiques « parcequ' on avait de la place la! » lance M. Joubert. Le gouffre qui, après la guerre avait
en effet servi de lieu d'expérimentation pour ètudier les fusées
allemandes V2, possédait déjà un minimum d'équipement et d'aménagement.
Mais si aucune étude ne fut réalisée à l' époque les militaires du centre
connaissaient en revanche très bien la rivière souterraine des
Vitarelles pour en avoir de nombreuses fois parcouru ses interminables
galeries. On se souviendra d'ailleurs de cette équipe du Centre,
bloquée onze jours par les eaux en novembre 1999 , et collée au plafond
d'une minuscule cavité. Cette aventure donna lieu à une très médiatique
opération de secours.
Les études hydro-géologiques,
mettant en avant la fragilité du sous-sol karstique et les dangers de
contamination des rivières souterraines, existaient pourtant (4). L'une
d 'elle, commandée par le Ministère de l'environnement, prend même pour
exemple le causse de Gramat et le cours souterrain de l'0uysse (5).
Il est évoqué l'absence de •filtration naturelle du sous-sol, du fait
des réseaux de circulation de fissures, entraînant par ailleurs une
grande vitesse de propagation de l' eau sur des distances importantes,
Le rapport précise que la moindre défaillance peut avoir de graves conséquences
pour les populations locales, l'Ouysse et ses affluents étant utilises
par de nombreuses communes pour leur alimentation en eau potable (6).
« l' objectif est de ne rien faire sortir de la bulle »
rappelle le directeur du Centre. Par conséquent l' environnement, si
fragile soit-il, ne doit pas être menacé par les méfaits de ces expérimentations.;.
l'examen du passé démontre que tout ne fut pas si clair.
Incidents de tir ou la logique implacable des statistiques
Avec plus de 700 tirs à son actif, le CEG possède
le site de frappes à uranium le plus important d'Europe. On y teste
des gros calibres, allant du 104 mm au 120 mm. M. Joubert confirmait
au journal Le Monde (7) que le STU était utilisé à la fois pour des
études françaises, menées en coopération internationale, mais parfois
purement étrangères. On se bousculait apparemment pour venir tester
ses obus à uranium appauvri sur le terrain lotois. Seulement voila!
Compte tenu du nombre de tirs effectués, de la finesse de certains réglages,
réalises par la main de l'homme, et compte-tenu aussi d'impondérables
liés à la fabrication de l'obus, une défaillance devait forcement arriver
un jour ou l'autre. En dépit de lourdes rumeurs qui circulaient au sein
du personnel du Centre, jamais le service de communication n'avait fait
état officiellement d'un éventuel incident de tir. Lors de notre entretien
avec la direction du Centre, M. Joubert a confirmé effectivement «
un tir loupé » en 1991. Selon
lui rien de dramatique, un obus qui aurait explosé à l' air libre suite
à une mise à feu défectueuse : « Probème de poudre... » Un employé du Centre qui aurait visionné l'incident
grâce aux caméras de surveillance présentes autour du gouffre, parle
« d'un nuage de poussière fine, bleu argenté, d'une vingtaine de
mètres de diamètre. » Un témoignage inquiétant. La dangerosité de l'uranium
appauvri sous forme d'aérosol est clairement établie ( oxydes fortement
toxiques et volatiles). Cet incident pose donc à nouveau la question
du choix du site, surtout quand on a conscience de sa fragilité géologique,
ainsi que la question de la transparence. Ceci n' est révélé qu'
après dix ans d' omerta. Au Centre on se veut rassurant : « C' est
un problème de métaux lourds, ce n'est pas un poison. On a ramassé la
terre et les morceaux contaminés. Tout a été stocké et retraité par
la suite. » ....
Flou
artistique autour des déchets
L' épineux sujet des déchets demeure la principale ombre
au tableau. En 1990, le directeur du Centre M. Jean Deveaux déclarait
a ce propos : « En tant qu'établissement étatique, nous nous devons
de montrer l'exemple. Tous nos déchets, et en particulier l'uranium
appauvri que nous utilisons, sont traités par des organismes spécialisés
et selon des normes très strictes. » (8)
Ces informations invérifiables à l'époque en raison du secret qui couvrait
toutes les activités du Centre s' avèrent fausses, voire mensongères.
Les premiers rapports de l' Agence nationale pour la gestion des déchets
radioactifs (ANDRA) font état en 1994 puis en 1995, d'un stock important
de déchets « produits par des expérimentations mettant en oeuvre
l'uranium appauvri. » (9) Il s'agit entre autres d'une centaine de fûts de
200 litres. Toujours selon l' ANDRA, les déchets ne seront expédiés
auprès d'un organisme spécialisé, la Socatri basée à Bollène, qu'a partir
de 1996. La direction du CEG confirme cette version des faits. Les déchets
furent stockes à l'intérieur du Centre depuis le début des tirs et ce
jusqu'a la signature du contrat avec cette entreprise, filiale de la
Cogema. Les fiches relatives au CEG mentionnent aussi 1 000'm3 de terre
et déblais contaminés à l'uranium appauvri, entreposés en plein air
sur l'emprise du Centre et ceci deux années de suite. M. Joubert avouera
du bout des lèvres qu'il s'agit en partie de terre ramassée après l'incident
de tir de 1991.
La contamination
du sous-sol semble à ce jour très probable...
Connaissant la pluviométrie moyenne dans cette région, le caractère
(en partie) soluble de ce métal, et l'absence de filtrage naturel en
raison de la géologie du lieu, la contamination du sous-sol (à un degré
inconnu), semble à ce jour très probable... Cette négligence quant au
stockage des déchets contraste avec le luxe de précautions qui enrobe
aujourd'hui l'expérimentation de ces obus. Combinaison de protection
pour le personnel qui pénètre à l'intérieur de la bulle, stockage en
fut de toute matière présente dans l'enceinte lors du tir, etc. Mais
un doute subsiste sur le devenir de ces déchets entreposés en plein
air. Selon M. Joubert, « tout est parti a la Socatri ». Cependant un tel volume de matières contaminées ne
figure pas à l'inventaire de l'entreprise de Bollène. Que sont devenus
ces 1 000 m3 de déchets ? La Socatri aurait-elle oublié de les comptabiliser
? Sont-il toujours stockés à l'intérieur du Centre ? Ont-ils été transférés
vers une autre destination, Viroulou ou ailleurs ? La question reste
en suspend...
Contrôle
de I'eau : à qui la charge ?
Les quantités d'uranium
utilisées en 15 ans au CEG sont infimes comparées aux centaines de tonnes
déversées sur les champs de batailles d'Irak ou du Kosovo. Les malveillances
et négligences qui viennent d'être mises en évidence participent toutefois
à la détérioration de l'environnement et rendent un peu plus probable
un risque de contamination de l'eau,même de façon sporadique. Dans
ses contrôles la Ddass guette périodiquement la présence de métaux lourds
dans l' eau de consommation. Par sa rareté, l'uranium ne figure pas
sur la liste proscrite et de ce fait l' organisme public n' est pas
doté (légalement et matériellement) des moyens de mesurer la présence
d'uranium dans l'eau (10). Au CEG, on explique que des contrôles mensuels
de ce genre sont réalisés en dehors de l' enceinte militaire à Thémines
et à la résurgence de Cabouy. Les prélèvements sont effectués par un
ingénieur du Centre puis envoyés au SPRA (Service de protection radiologique
des armées). Mais peut-on faire confiance à un organe qui se place à
la fois comme juge et parti, quand on constate avec quelle lenteur l'administration
militaire dévoile ses errements ? Cette mission de surveillance de la
potabilité de l'eau doit d'une part être permanente (un contrôle mensuel
permet à coup sur de ne rien trouver) et d'autre part relève des pouvoirs
publics ( dont les compétences doivent être élargies ) soutenus par
la présence sur le terrain des associations de protection de l'environnement,
véritables garants d'une réelle transparence. .
1% de I'activité focalise 99% des
inquiétudes
L 'activité du STU ne représente que 1 %
des expérimentations du CEG. Cependant les inquiétudes du personnel
se cristallisent autour des dangers liés à I'uranium appauvri. Dernièrement
la Commission hygiène et sécurité du Centre s'est réunie en session
extraordinaire pour aborder les problèmes spécifiques au « site U ».
Formation et protection du personnel, incidents de tirs et gestion des
déchets figuraient à I'ordre du jour. Les élus CGT de la Commission
ont exprimé par la suite leur amertume face au manque de communication
interne sur ce sujet et du peu de moyens qui leur sont donnés par la
direction pour transmettre une information transparente et complète
à I'ensemble du personnel. Les syndicats affirment aussi leur souhait
de voir définir clairement les dangers liés à la manipulation de I'uranium
appauvri, afin d'en inscrire les pathologies au régistre des maladies
professionnelles.
ANTOINE ARMAND
( I) Revue scientifique et technique
de la défense. N°27, Janvier 1995 Douze ans de détonique par P Touze,
D 8ergues, J. Cognoux, P. Chartagnac, R Durand, M Perez, C Soint-Martin.
(2) Commission de Recherche et d'lnformation Indépendante sur
la Radioactivité
{3) Cf Carte géologique de la Fronce - Gramat 1/50 000 Editions BRGM
{4) Etude d'un exemple de contamination d'un réseau karstique P. Soumande,
lG. Coustou. Joumol françois d'hydrologie 1978 Quercy Recherche d'eau
en Quercy: la pollution de l'Ouysse J.C. Coustou
(5) Traçage et protection des captages dans le karst : prévision
de la propagation des pollutions dans le réseau karstique de l'Ouysse.
1989
(6) schémé départemental de I'eau potable. Conseil général du
lot Direction de I'aménagement
(7)" le Monde" doté du 15 janvier 2001. L'armée française
connaissait depuis 1986 les risques de I'uranium appauvri. Hervé Kempf.
(8) la Dépèche du Midi. Edition du Lot 6 novembre 1990, p 18
(9) Raport annuel de 1995 à 2000. Fiches MIP 6 pour le CEG et
PRO 2A pour la Socatri
( 10) Code de la Santé publique: Eaux destinées à la consommation
humaine. Décret n°89-3 du 3 janvier 1989.
(11) Sciences et Avenir N°648 février 2001. Les dangers de I'uranium
appauvri .Stéphan Raphaël.
DIRE LOT. N" 87. MARS-AVRIL 2001