Lascaux
contre
l’enfouissement des déchets radioactifs
“Quelques mois avant la guerre, je décidai
de prendre de longues vacances. Depuis longtemps j'avais envie, entre
autres, de visiter la vallée de la Dordogne. Je bouclai donc ma valise
et pris le train
pour Rocamadour où je débarquai de bonne heure, un matin, vers
le lever du soleil, lune brillant encore d'un éclat vif dans le ciel.
Coup de génie, de ma part, cette idée d'explorer la région
de la Dordogne avant de me plonger dans l'illumination millénaire du
monde grec. Rien que le coup d'oeil sur la rivière noire et mystérieuse,
du haut de la magnifique falaise debout à l'orée de Domme, suffit
pour vous emplir d'un sentiment de gratitude impérissable. Pour moi,
cette rivière, ce pays appartiennent au poète Rainer Maria Rilke.
Ce n'est pas plus la France que l'Autriche, ni même que l'Europe : c'est
la terre d'enchantement jalousement marquée par les poètes et
qu'eux seuls ont le droit de revendiquer comme leur. Ce qui se rapproche le
plus du paradis, en attendant la Grèce. Le paradis des Français,
mettons, par manière de concession.
Un
paradis, en fait, dont l'existence doit remonter à des milliers et
des milliers d'années. Je suis convaincu que c'était bien cela
pour l'homme de Cro-Magnon, malgré le témoignage fossilisé
des formidables grottes, qui indique des conditions de vie plutôt stupéfiantes
et terrifiantes.
Rien ne m'empêchera de croire que si l'homme de Cro-Magnon s'installa
ici, c'est qu'il était extrêmement intelligent, avec un sens
de la beauté très développé. Rien ne m'empêchera
de croire que le sentiment religieux avait déjà atteint en lui un haut degré de développement
et qu'il a fleuri en ces lieux, alors même que
l'homme vivait comme une bête au fond des cavernes. Rien ne m'empêchera
de croire que cette grande et pacifique région de France est destinée
à demeurer éternellement un lieu sacré pour l'homme et
que, lorsque la grand-ville aura fini d'exterminer les poètes, leurs
successeurs trouveront ici refuge et berceau.
Cette visite à la Dordogne
fut pour moi, je le répète, d'une importance capitale : il m'en
reste un espoir pour l'avenir de l'espèce, et même de notre planète. Il se peut qu'un
jour la France cesse d'exister, mais la Dordogne survivra, tout comme les
rêves dont se nourrit l'âme humaine.”
Henri Miller
“Le colosse
de Maroussi”